A point ! ... Nommé !
07 juin 2016Venez, esprits qui assistez les pensées meurtrières ! Du crâne au talon, remplissez-moi de toute la plus atroce cruauté !
William Shakespeare | Macbeth
A japanese soldier's skull de Ralph Morse pour Life (1943).
Before Watchmen: Comedian #5 de J.G. Jones et Brian Azzarello (Couverture).
Dans le comic book Before Watchmen: Comedian #5 - "Kicks" (Jones et Azzarello • Vertigo) J.G. Jones pastiche la photographie A Japanese soldier's skull de Ralph Morse, extraite du numéro du magazine Life paru le 1 février 1943, sur la couverture de sa BD.
Pour avoir plus d'informations sur le magazine Life et voir d'autres clichés de la revue, rends-toi »ici« où j'ai déjà traité le sujet. 😉
Ralph Morse (1917-2014) était un photographe talentueux du magazine Life. Durant sa carrière, il a couvert de nombreux sujets dont les plus célèbres sont la conquête de l'espace avec les projets Mercury et Apollo, ainsi que beaucoup d'évènements sportifs où il a révolutionné les prises de vue, et aussi en médecine dont il a documenté plusieurs avancées...
Mais aux débuts de sa carrière il a d'abord œuvré comme correspondant de guerre pendant la Seconde guerre mondiale sur les fronts pacifique et européen. Et c'est ce premier front qui nous réunit aujourd'hui avec la Campagne de Guadalcanal.
En effet, c'est à la fin de l'année 1942, sur l'île de Guadalcanal, alors que l'armée a pris le relais des marines, Ralph crapahute avec une patrouille à travers la jungle hostile, et il tombe sur ce crâne de soldats japonais calciné -ornant- un char nippon. Morse immortalise la scène avec son appareil. Peu après, Ralph tombe gravement malade, atteint de paludisme, il est alité et soigné, et ses pellicules sont expédiées au pays sans même que le photographe ne puisse les analyser. Et quelques mois plus tard le cliché horrifie l'Amérique dans les pages de Life, alors que Ralph Morse n'est même pas au courant. Sur la légende accompagnant la photographie parue dans le magazine du 1e février 1943, on peut lire:
A Japanese soldier's skull is propped up on a burned-out Jap tank by U.S. troops. Fire destroyed the rest of the corpse".
Traduction: Un crâne de soldat japonais apposé sur un tank nippon. Le feu a détruit le reste du corps.Légende de la Photographie | Life
Le reste de l'article dénonce les barbaries de la guerre, et met l'accent sur celles faites par les alliés. Ce qui sous-entend donc, affirme même, que ce crâne décapité a été placé là en trophée par les boys américains...
Pourtant Ralph Morse se souvient que lorsque son peloton a approché le char arborant cette tête tranchée, le sergent a mis en garde ses hommes en leur interdisant de s'en approcher car elle était assurément placé là par les Japonais afin de les attirer dans un piège dissimulant un dispositif explosif: "Tout le monde reste à l'écart dit le sergent, puis il se tourne vers moi. Toi, dit-il, va prendre ta photo si tu veux puis casse-toi vite fait". J'y suis donc allé, ai pris mes photos et couru comme un dératé à l'endroit où la patrouille m'attendait.
Alors qui a raison le sergent ou Life magazine ? Perso, je suis plus de l'avis du sergent qui était sur place et dans l'action. Quoi qu'il en soit Life n'avait pas le droit d'utiliser cette photo dans un tel article, ces derniers n'étant pas du tout sûr du contexte. Dénoncer les atrocités commises par les alliés, c'est plus que louables, mais quand on est journaliste, on se doit d'utiliser des preuves et des faits avérés et recoupés, et ne pas interpréter à la va vite pour faire du sensationnel. Ce qui est d'autant plus gênant dans cette histoire, c'est qu'il existe d'autres clichés et témoignages de l'époque attestant et montrant des GI faisant bouillir des têtes, ornant leurs propres Jeeps de crânes, faisant des colliers d'oreilles et de dents... Mais il faut croire que ces clichés-là étaient moins réussi, moins sexy, moins vendeur... Bref, loin de moi d'être complotiste, mais encore une fois comme je l'ai déjà dit dans mes articles sur Raising the flag on Iwo Jima, Mort d'un soldat républicain, et Drapeau rouge sur le Reichstag, il faut se méfier du poids des photographies instrumentalisées pour faire du sensationnalisme quel que soit le bienfondé de la cause. Un journaliste doit interpréter les faits et non pas les extrapoler. Un mensonge louable ou pas, ce n'est pas du journalisme, c'est de la propagande.
Après la diffusion de ce cliché, Life a reçu des nombreuses lettres de protestation de personnes stupéfaites que des soldats américains soient capables d'une telle brutalité envers l'ennemi. Les éditeurs répondirent que:
La guerre est désagréable, cruelle, inhumaine. Et il est plus dangereux d'oublier sa nature que d'être choqué par des rappels qu'elle l'est.
Life
PS: Cependant pour la petite histoire, l'image de la tête coupée a généré moins de la moitié de la quantité de lettres de protestation reçue à propos de l'image d'un chat maltraité dans le même numéro du magazine.
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