Je suis ce que je suis. Je vaux ce que je vaux. Mais qu'importe, je vais dire ce que j'ai à dire, je vais faire ce que j'ai à faire. Ce ne sera peut-être pas parfait, mais ce sera.

Kurt Cobain

Photographie de Kurt Cobain prise par Koh Hasebe pour le magazine Shinko Music (1992).
Photographie de Kurt Cobain par Koh Hasebe pour Shinko Music (1992).

Kurt Cobain selon Nino Cammarata.
The Department of Truth #14 de Pearson et Tynion IV (Couverture bis de Nino Cammarata).

Dans le comic book The Department of Truth #14 - "Deviaton Three: Rocket Man" (Pearson et Tynion IV • Image Comics) le cover artist Nino Cammarata pastiche la photographie de Kurt Cobain prise par Koh Hasebe lors d'une interview pour le magazine Shinko Music sur une des nombreuses couvertures alternatives de la BD. Ici, dans les lunettes de soleil de Kurt Cobain, on distingue le reflet du dévoreur d'enfants à tête de pentacle alias Starface.

En caricaturant Kurt Cobain, les auteurs jouent sur les théories du complot tournant autour de la mort du leader de Nirvana. Cette couverture est en adéquation avec l'ADN de la série, qui aime détourner les codes de la culture populaire pour les imbriquer dans son univers paranoïaque et complotiste.

 

Nous sommes le 18 février 1992. Il y a un mois à peine, l'album Nevermind de Nirvana a détrôné Dangerous de Michael Jackson à la première place du Billboard américain. Le Grunge n'est plus un secret d'initiés, c'est un raz-de-marée planétaire. Smell Like Teen Spirit a tout emporté sur son passage, propulsant le trio au rang de porte-parole d'une génération désabusée, la fameuse Génération X. Au milieu de ce chaos, le groupe est en pleine tournée mondiale, et atterrit au Japon. C'est dans ce contexte d'hystérie collective et d'épuisement que Kurt Cobain, 24 ans, se pose dans une chambre du Roppongi Prince Hotel à Tokyo pour une série d'interviews. Face à lui, un objectif. Derrière, un photographe qui a vu passer toutes les légendes: Koh Hasebe.

Avant de décortiquer le sujet, un mot sur le photographe. Koh Hasebe n'est pas un inconnu. Surnommé Music's Photographer, il était LE photographe attitré du magazine musical japonais Shinko Music. Dès les années 60, sa mission était simple: immortaliser toutes les stars du rock et de la pop de passage au Japon. Des Beatles à Queen, de David Bowie à Led Zeppelin, il les a tous eus. Son style ? Souvent simple, direct, sans fioritures excessives. Il ne cherche pas à transformer ses sujets, mais à les capturer tels qu'ils sont souvent dans le cadre un peu artificiel des tournées promotionnelles. Un contexte parfait pour saisir l'ennui et la fatigue d'une rockstar.

Ce qui frappe d'abord dans ce portrait, ce sont bien sûr ces grosses lunettes de soleil noires, presque comiques. Elles sont plus qu'un accessoire, elles sont une armure. A cette époque, Cobain est déjà le porte-parole d'une génération contre son gré. Ces lunettes sont une barrière évidente, un message clair: "Regardez-moi, mais ne me voyez pas". Elles cachent des yeux certainement fatigués par le décalage horaire, les concerts, et peut-être plus encore... C'est le paradoxe ultime de la célébrité: être au centre de l'attention et ne rêver que de disparaître.

Ensuite, il y a la panoplie, devenue un uniforme. Le fameux gilet en mohair, la chemise à rayures sur un t-shirt blanc. C'est l'anti-mode érigée en mode. Un look qui crie "je m'en fiche", mais qui est devenu l'un des plus scrutés et imités de la décennie. Cobain, avec son air de ne pas y toucher, était d'une cohérence stylistique redoutable.

La critique que l'on pourrait faire à cette photo est qu'elle est presque trop parfaite dans ce qu'elle représente. Elle fige Cobain dans son propre mythe: l'artiste torturé, l'idole blasée. L'arrière-plan orange, chaud et impersonnel, typique d'un hôtel standardisé, renforce ce sentiment de déconnexion. Kurt n'est nulle part chez lui, il est juste "en service". La photo est incroyablement efficace, mais elle contribue à aplatir un personnage complexe en une image, un poster.

Pourtant, sa force est indéniable. Au-delà du masque des lunettes, on devine une certaine vulnérabilité avec cette moue presque enfantine. Koh Hasebe, sans effet de manche, réussit à capturer l'essence du dilemme Cobain: un jeune homme propulsé au sommet du monde, déjà conscient que la seule chose qu'on attend de lui, c'est d'être Kurt Cobain. Et ce jour-là, il avait visiblement mis ses lunettes pour que ce soit un peu moins lourd à porter.

Un samedi soir, je me suis soûlé et défoncé, puis j'ai marché le long de la voie ferrée et je me suis allongé sur les rails pour attendre le train de onze heures avec deux gros blocs de ciment sur la poitrine et les jambes et le train s'est approché de plus en plus près. Et il a roulé sur la voie d'à côté au lieu de me passer dessus.

Kurt Cobain

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