Vous savez à quel point le jeu nous sert. Il a un but social bien défini. Les nations ont fait faillite... Toutes... Adieu pauvreté, adieu souffrance... L'homme a mené à bien la réalisation de son rêve. L'avènement de la société corporatiste était inéluctable. Aujourd'hui, la vie est bonne et les loisirs nombreux.

Bartholomew interprété par John Houseman | Rollerball

Rollerball de Norman Jewison (1975).
Rollerball de Norman Jewison (1975).

Rollerball selon George Pérez.
The Infinity Gauntlet #1 de George Pérez et Jim Starlin (Couverture).

Dans le comic book The Infinity Gauntlet #1 - "God" (Pérez et Starlin • Marvel) George Pérez parodie l'affiche du film Rollerball de Norman Jewison sur la couverture de sa BD. Ici, Jonathan E. interprété par James Caan est remplacé par Thanos.

 

Accrochez-vous à vos patins, on remonte le temps jusqu'en 1975, année de sortie d'un ovni cinématographique qui a marqué les esprits: Rollerball. Réalisé par le talentueux Norman Jewison, ce film d'anticipation nous plonge dans un futur pas si lointain (2018, oups !) où le monde est contrôlé par de méga-corporations et où un sport ultra-violent, le Rollerball, fait office d'opium du peuple. Alors, simple divertissement bourrin ou critique visionnaire ? Enfilez votre casque, on décortique tout ça.

A l'origine de Rollerball, il y a une nouvelle de l'auteur américain William Harrison, intitulée Roller Ball Murder. L'histoire était encore plus sombre et pessimiste que le film. C'est Harrison lui-même qui a adapté son texte pour le grand écran, en conservant l'idée centrale: dans un monde pacifié et sans âme, les corporations ont créé un sport pour canaliser l'agressivité des masses et leur rappeler que l'individualisme est une cause perdue.

En l'an 2018, les cadres dirigeants se sont substitués aux hommes politiques, et les états ont été remplacés par six départements mondiaux: Energie, Luxe, Alimentation, Logement, Communications et Transports. Grâce à cette organisation, tous les hommes jouissent d'un confort matériel inégalé. Mais une société en paix a besoin de purger les pulsions violentes de ses membres. C'est dans ce but qu'a été créé le Rollerball, un sport très violent, à la fois mélange de hockey, de boxe, de football américain...
Jonathan E. (James Caan), capitaine de l'équipe de Houston et véritable star mondiale, se voit un jour convoqué par Bartholomew (John Houseman), l'un des plus importants organisateurs du Rollerball. Craignant la popularité de Jonathan, il souhaiterait voir celui-ci prendre sa retraite. Mais cette proposition n'est pas du goût du sportif, qui refuse. Entre les deux hommes commence alors, par matchs interposés, une lutte sans merci....

AlloCiné | Rollerball

Confier la réalisation à Norman Jewison était un choix audacieux. Le cinéaste était surtout connu pour des drames sociaux puissants comme Dans la chaleur de la nuit (1967) ou la comédie musicale Un violon sur le toit (1971). Loin d'être un simple "yes-man", Jewison a insufflé au projet une dimension politique et une gravité qui transcendent le simple film d'action.

Pour incarner le champion Jonathan E., il fallait une force de la nature, un acteur charismatique capable d'exprimer la lassitude et la détermination sans beaucoup de dialogues. James Caan, fraîchement sorti du succès du Parrain, était l'homme de la situation. Avec son physique d'athlète et son regard intense, il compose un héros stoïque et fatigué, un gladiateur moderne qui se bat moins pour la gloire que pour le droit d'exister. A ses côtés, l'acteur John Houseman est parfait en dirigeant cynique et paternaliste.

Ce qui frappe dans Rollerball, c'est le contraste stylistique. D'un côté, les scènes de match sont d'une brutalité et d'une énergie folles. Jewison filme l'action de manière viscérale, nous plaçant au cœur de la piste circulaire où les corps s'entrechoquent dans un vacarme assourdissant. On sent la sueur, les chocs, la douleur. De l'autre, les scènes de la vie "normale" sont d'une froideur clinique. La photographie de Douglas Slocombe sublime une architecture moderne et déshumanisée (le siège de BMW à Munich sert de décor principal), créant une atmosphère aseptisée, presque funèbre. Le futur de Rollerball n'est pas fait de voitures volantes, mais de grands espaces vides, de fêtes mondaines silencieuses où les invités détruisent des arbres au pistolet par pur ennui. Cette dualité renforce le propos: la violence codifiée du stade est le seul exutoire dans une société anesthésiée.

La bande-son est l'un des plus grands coups de génie du film. Plutôt que de choisir une musique futuriste ou rock, Jewison plaque sur les scènes de match des morceaux de musique classique, notamment la célèbre Toccata et Fugue en ré mineur de Bach. Le décalage est saisissant. La noblesse et la puissance de la musique d'orgue confèrent aux affrontements une dimension quasi-religieuse, une sorte de messe païenne où l'on sacrifie des hommes sur l'autel du divertissement. L'Adagio d'Albinoni vient quant à lui souligner la mélancolie des moments plus calmes, renforçant le sentiment de solitude du héros.

Le tournage des scènes de Rollerball n'a pas été de tout repos. Si James Caan a été doublé pour la plupart des cascades, de nombreux cascadeurs et patineurs professionnels ont été réellement blessés. Les figurants dans le public étaient des habitants de Munich. Lors du tournage de la finale à Tokyo, l'équipe a dû faire venir des Japonais par avion pour remplir les gradins et assurer la crédibilité. Le sport a été entièrement inventé pour le film, avec des règles précises. Il est tellement bien conçu qu'on a l'impression qu'il pourrait exister.

A sa sortie en France le 10 septembre 1975, Rollerball a reçu un accueil critique mitigé. Certains ont salué son intelligence et sa portée politique, tandis que d'autres l'ont jugé trop lent ou inutilement violent. Le public, lui, a répondu présent, faisant du film un succès commercial. Mais c'est avec les années que Rollerball est devenu un film culte. Sa vision d'un futur dominé par les corporations, où le divertissement de masse sert à contrôler les esprits, est apparue de plus en plus pertinente. Le film a influencé de nombreuses œuvres de science-fiction, de Running Man à Hunger Games.

Son influence est telle qu'il a eu droit à un remake en 2002, réalisé par John McTiernan. Une version qui, en misant tout sur l'action décérébrée, est passée complètement à côté du message politique et philosophique de l'original, soulignant par contraste la puissance et l'intelligence de l'œuvre de Jewison.

Rollerball est bien plus qu'un simple film de sport futuriste. C'est une œuvre d'anticipation sombre, intelligente et esthétiquement impeccable, qui nous interroge sur la place de l'individu dans la société et les dérives d'un monde où le spectacle prime sur l'humanité. Un classique qui, près de 50 ans plus tard, n'a rien perdu de son impact.

Aucun joueur n'est plus grand que le jeu par lui-même, et ce jeu n'est pas pensé pour grandir le joueur, Jonathan !

Bartholomew interprété par John Houseman | Rollerball

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