Chère maman, j'ai rencontré mes premiers amis français.

Matthew interprété par Michael Pitt | Innocents: The Dreamers

Photographie promotionnelle du film Innocents: The Dreamers de Bernardo Bertolucci (2003). Affiche du film Innocents: The Dreamers de Bernardo Bertolucci (2003).
Innocents: The Dreamers de Bernardo Bertolucci (2003).

Innocents: The Dreamers selon Innocents: The Dreamers.
Testament #7 de Gross et Rushkoff (Couverture de Liam Sharp).

Dans le comic book Testament #7 - "West of Eden, Conclusion: What God Giveth" (Gross et Rushkoff • Vertigo) le cover artist Liam Sharp pastiche l'affiche du film Innocents: The Dreamers de Bernardo Bertolucci sur la couverture de la BD. Ici, Théo interprété par Louis Garrel, Isabelle campée par Eva Green et Matthew incarné par Michael Pitt sont remplacés par le Dr. Alan Stern, Greta Ricoeur-Stern et le Dr. Green.

 

Paris, Mai 68. Les pavés volent, la jeunesse gronde, et la France est au bord de l'explosion. Une période que le cinéma a souvent dépeinte sous l'angle des manifs et des barricades. Mais que se passait-il derrière les lourdes portes haussmanniennes ? C'est le pari de Bernardo Bertolucci avec Innocents: The Dreamers, sorti en salles en France le 10 décembre 2003. Un film qui, plutôt que de nous plonger dans la fureur de la rue, nous enferme dans un appartement où trois jeunes gens vont faire leur propre révolution, bien plus intime et sensorielle. Accroche-toi, on rembobine.

Isabelle (Eva Green) et son frère Théo (Louis Garrel), restés seuls à Paris pendant les vacances de leurs parents, invitent chez eux Matthew (Michael Pitt), un étudiant américain. Dans cet appartement où ils sont livrés à eux-mêmes, ils vont fixer les règles d'un jeu qui les amènera à explorer leur identité émotionnelle et sexuelle. Au fil des heures, la partie s'intensifie, les sens et les esprits s'exacerbent.

AlloCiné | Innocents: The Dreamers

Avant d'être un film, The Dreamers est un livre, The Holy Innocents (1988), écrit par le romancier et critique de cinéma écossais Gilbert Adair. Et si l'histoire de ces jumeaux fusionnels et de l'Américain qu'ils accueillent dans leur cocon vous dit quelque chose, c'est normal. Adair ne s'est jamais caché de son inspiration: Les Enfants Terribles de Jean Cocteau. Le film de Bertolucci est donc une sorte de relecture de Cocteau, transposée dans la fièvre cinéphile et politique de la fin des années 60. C'est Gilbert Adair lui-même qui a adapté son propre roman pour le scénario. On est donc sur une vision d'auteur pure et dure, fidèle au matériau d'origine.

Pour diriger ce huis clos électrique, qui d'autre que Bernardo Bertolucci ? Le réalisateur italien revenait à Paris, 30 ans après son sulfureux Dernier Tango à Paris. Un film qui partage avec The Dreamers ce goût pour l'enfermement, l'exploration de la sexualité et une certaine mélancolie. Bertolucci, lui-même cinéphile passionné et politiquement engagé, était l'homme parfait pour capter l'essence de cette jeunesse qui croit que le cinéma peut changer la vie.

Pour incarner son trio, il fait un choix audacieux en misant sur de jeunes acteurs encore peu connus du grand public. Michael Pitt (Matthew): L'Américain un peu gauche, le spectateur qui découvre ce monde étrange. Pitt lui apporte cette étrangeté et cette sensibilité à fleur de peau. Louis Garrel (Théo): Le jeune intellectuel parisien, engagé, provocateur, dont le charisme nonchalant crève l'écran. Un rôle qui lancera définitivement sa carrière. Eva Green (Isabelle): LA grande révélation du film. Pour son tout premier rôle au cinéma, elle est magnétique, mystérieuse, et d'une audace folle. Sa beauté sculpturale et son jeu intense en ont fait une icône instantanée. Ce casting de "presque" inconnus donne au film une fraîcheur et une authenticité incroyables. On a l'impression de découvrir ces personnages en même temps que leurs carrières décollent.

Avec sa mise en scène, Bertolucci nous enferme avec les personnages. L'appartement est un cocon, un utérus protecteur et décadent, filmé avec une sensualité folle. Les mouvements de caméra sont lents, fluides, presque caressants. La lumière, signée du chef-opérateur Fabio Cianchetti, est chaude, dorée, créant une atmosphère hors du temps, alors même que l'Histoire gronde dehors. Bertolucci pousse ses acteurs dans leurs retranchements. La nudité, omniprésente, n'est jamais gratuite. Elle est filmée comme une innocence originelle, un uniforme pour ces utopistes qui veulent réinventer le monde, en commençant par leur propre corps et leurs propres règles. Le film a d'ailleurs reçu un classement NC-17 aux Etats-Unis (interdit aux moins de 17 ans), ce qui a limité sa distribution, mais a aussi forgé sa réputation de film subversif.

La cinéphilie est permanente, c'est le cœur du film. Les personnages ne parlent pas, ils citent des films. Ils ne vivent pas, ils rejouent des scènes mythiques. La fameuse course dans le Louvre est un hommage direct au Bande à part de Godard. Ces extraits de films classiques (de Chaplin à Bresson) qui s'incrustent dans le montage ne sont pas de simples clins d'œil; ils sont le langage même des personnages. C'est un film qui se regarde autant qu'il nous regarde regarder des films.

La bande-son est un pur délice. Elle mélange la fureur rock de l'époque (Jimi Hendrix, The Doors) avec la poésie de la chanson française (Edith Piaf, Charles Trenet, Françoise Hardy). Ce grand écart musical illustre parfaitement la rencontre entre Matthew l'Américain et les jumeaux parisiens. C'est la bande originale parfaite d'une jeunesse qui se rêve américaine tout en étant profondément française.

A sa sortie, Innocents: The Dreamers a divisé, comme souvent avec Bertolucci. Certains critiques ont crié au génie, louant sa beauté plastique, son érotisme intelligent et son hommage vibrant au cinéma. D'autres l'ont trouvé un peu vain, voire réactionnaire, accusant le réalisateur de préférer l'esthétisme d'une révolution de chambre à la réalité politique de la rue. Pourtant, avec les années, le film a acquis un véritable statut de film culte. Il est devenu une référence pour toute une génération de cinéphiles, un symbole de cet amour absolu pour le cinéma.

Oui, je suis ivre. Et tu es belle. Et demain matin, je serai sobre, mais tu seras toujours belle.

Matthew interprété par Michael Pitt | Innocents: The Dreamers

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