La propagande est le contraire de l'artillerie: plus elle est lourde, moins elle porte.

Jean Giraudoux

Illustration Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds de Joseph Christian Leyendecker (1917).
Illustration Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds de Joseph Christian Leyendecker (1917).

Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds selon J.H. Williams III. Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds selon J.H. Williams III.
Promethea #5 de J.H. Williams III et Alan Moore (Couverture).

Dans le comic book Promethea #5 - "Weapon for Liberty" (Williams III et Moore • DC Comics) J.H. Williams III pastiche l'illustration Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds de Joseph Christian Leyendecker sur la couverture de sa BD. Ici, Lady Liberty est remplacée par Promethea et le boy scout se transforme en soldat.

 

Plongeons-nous aujourd'hui dans les archives visuelles du passé avec l'affiche de la campagne Third Liberty Loan de 1917, signée par le grand J.C. Leyendecker. Accrochez-vous, on part pour un petit voyage dans le temps, à une époque où pour financer une guerre, on faisait appel à des illustrateurs de génie et... aux Boy Scouts !

Au premier coup d'œil, Weapons for Liberty – U.S.A. Bonds est une scène plutôt épique. Le Boy Scout fringant, au centre, tout fier dans son uniforme impeccable, tend une épée rutilante. Il ne vend pas des cookies, non, il offre littéralement une "arme pour la liberté". Son regard est déterminé, il incarne la jeunesse pure, l'avenir de la nation prêt à se sacrifier. C'est le genre de gamin qui a non seulement fait tous ses devoirs, mais qui a aussi sauvé un chaton dans un arbre avant de venir. A sa gauche, Lady Liberty version Art Nouveau, une figure allégorique de la Liberté, drapée dans la bannière étoilée, accepte l'épée. Mais ce n'est pas n'importe quelle Liberté. C'est une Liberté un peu guerrière qui tient un bouclier. Elle n'est pas là pour rigoler, elle se prépare au combat. Le forgeron en arrière-plan admire la scène. Il représente l'industrie américaine, la force ouvrière qui, dans le feu des usines, forge les armes de la victoire. En bref, la jeunesse (le scout) offre le fruit de l'épargne des citoyens (l'épée) à la Nation (Lady Liberty), une épée fabriquée par la puissance industrielle du pays (le forgeron). La boucle est bouclée, le message est limpide.

Ce n'est pas juste une jolie image, c'est une véritable leçon de communication. A l'époque, les Etats-Unis, engagés dans la Première Guerre mondiale, avaient un besoin criant d'argent. La solution ? Les "Liberty Bonds" (ou "Emprunts de la Liberté"), des sortes d'obligations que les citoyens achetaient pour prêter de l'argent à l'Etat, avec la promesse d'être remboursés avec intérêts après la guerre.

L'esthétique héroïque : Le style de J.C. Leyendecker, à la fois réaliste et idéalisé, rend la scène noble. Les couleurs sont vives, les personnages sont beaux et déterminés. On est loin de la boue des tranchées. La guerre devient une quête glorieuse, une épopée moderne.

Artistiquement, c'est irréprochable. La composition est dynamique, le trait est maîtrisé, et l'impact visuel est indéniable. Leyendecker était une rock-star de l'illustration américaine, et ça se voit. C'est une capsule temporelle qui nous renseigne parfaitement sur l'état d'esprit d'une nation en guerre. En termes d'efficacité publicitaire, c'est un cas d'école. Mais bien évidemment, c'est de la propagande pure et dure. L'œuvre est conçue pour manipuler les émotions et simplifier un enjeu complexe. La guerre y est présentée comme une aventure noble et propre, une vision totalement déconnectée de la réalité brutale du conflit. Le slogan "Weapons for Liberty" ("Des armes pour la liberté") est un oxymore puissant. Il justifie l'armement et la violence en les associant à un idéal positif. C'est une technique de communication politique qui, avouons-le, n'a pas pris une ride.

Cette affiche est bien plus qu'une simple image ancienne. C'est un concentré de talent artistique mis au service d'un message politique puissant. Elle nous rappelle que l'art n'est jamais totalement neutre et que les images ont un pouvoir immense pour mobiliser, convaincre et même, un peu, pour nous embobiner.

La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures.

Noam Chomsky

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