Olympia s'invite au bal
10 oct. 2025La peinture s'apprend dans les musées.
Auguste Renoir
Bal du moulin de la Galette de Pierre-Auguste Renoir exposé au Musée d'Orsay (1976).
Moderne Olympia de Catherine Meurisse (Page 47, case 3).
Dans Moderne Olympia (Meurisse • Futuropolis) Catherine Meurisse pastiche le tableau Bal du moulin de la Galette d'Auguste Renoir sur une planche de sa BD. Ici, le bal est transposé en cabaret où la posture des personnages du premier est identique. Et en fond, on distingue Olympia qui se tape l'incruste pour réconforter Romain.
Ah, Paris ! Ses cafés, ses artistes, ses amours... et ses bals populaires. Aujourd'hui, on remonte le temps, direction 1876. Auguste Renoir, armé de ses pinceaux, nous invite à une fête: le Bal du moulin de la Galette. Accrochez-vous, on va décortiquer ensemble ce tourbillon de couleurs et de joie de vivre.
Imaginez un peu le contexte. Nous sommes en pleine Belle Epoque. Paris se remet de la guerre et de la Commune, et une folle envie de légèreté s'empare de la ville. Sur la butte Montmartre, qui n'est pas encore le piège à touristes que l'on connaît, se dresse le Moulin de la Galette. Un vrai lieu de vie, mi-guinguette, mi-salle de bal, où le tout-Paris populaire et bohème vient s'encanailler le dimanche. C'est là que notre cher Auguste Renoir, un des papas de l'impressionnisme, décide de poser son chevalet. Pour être au plus près de l'action, il loue un atelier-jardin juste à côté. Son but ? Saisir sur le vif une scène de la vie moderne, un instantané de bonheur collectif. Pas de commande officielle, pas de portrait de noble guindé. Juste la vie, la vraie.
Oubliez les contours nets et les ombres noires. La star du tableau, c'est la lumière qui danse. Renoir la fait filtrer à travers les acacias, créant une mosaïque de taches lumineuses sur les vêtements et les visages. C'est vibrant, ça pétille, on sentirait presque la chaleur du soleil sur la peau. La palette de couleur est dominée par des bleus et des violets éclatants, qui unifient la composition. Renoir n'utilise presque pas de noir, préférant des teintes sombres, mais colorées pour les ombres, ce qui donne une impression de légèreté incroyable. On est loin du style "léché" des académies. La touche est rapide, presque esquissée. Ce qui choque certains à l'époque donne aujourd'hui cette impression de mouvement et de fugacité. On a l'impression que si on cligne des yeux, la scène aura changé.
Côté dimensions, le tableau est un poids lourd: 131 x 175 cm. C'est immense pour une "scène de genre", un format habituellement réservé aux grandes scènes historiques ou mythologiques. Un choix audacieux qui montre l'ambition de Renoir : élever un simple dimanche après-midi au rang de chef-d'œuvre.
Contrairement à un cliché Instagram où tout le monde pose, ici, c'est le chaos joyeux. Et ce chaos est peuplé... des amis de Renoir ! Eh oui, pour donner vie à sa toile, le peintre a fait appel à son carnet d'adresses. Au premier plan, assis sur le banc, on retrouve ses potes peintres, critiques et modèles. La jeune femme au premier plan avec la robe à rayures bleues et roses serait Estelle, la sœur d'une de ses modèles préférées. Dans le couple de danseurs au centre, on reconnaît le peintre cubain Solares y Cárdenas en train de valser avec Margot, un des modèles fétiches de Renoir. En faisant poser ses proches, il insuffle une authenticité et une tendresse palpables à la scène.
L'interprétation du Bal du moulin de la Galette est, au fond, assez simple: c'est une ode à la joie de vivre. Renoir ne cherche pas à nous raconter une histoire complexe ou à faire passer un message politique. Il veut nous transmettre une sensation, une atmosphère. Celle d'une jeunesse insouciante, de la camaraderie, du flirt et des plaisirs simples. C'est la peinture du bonheur à l'état pur, un moment de grâce suspendu dans le temps.
Après avoir été peint, le tableau est acheté par un ami et mécène de Renoir, le peintre Gustave Caillebotte. A sa mort, il lègue son incroyable collection, dont cette toile, à l'Etat français. Après un passage par le Musée du Luxembourg puis le Louvre, le tableau a finalement trouvé sa place au Musée d'Orsay à Paris, où vous pouvez l'admirer aujourd'hui.
Lors de sa première présentation à l'exposition impressionniste de 1877, le tableau a, comme on pouvait s'y attendre, divisé. Certains critiques, habitués à l'art académique, ont crié au scandale. Des i, une "esquisse informe", des "taches violettes" sur les visages... L'un d'eux a même écrit que les personnages avaient l'air "en état de décomposition" ! On peut dire qu'ils n'étaient pas prêts. Heureusement, d'autres, comme l'écrivain Georges Rivière (qui est d'ailleurs représenté dans le tableau, au premier plan à droite), ont immédiatement crié au génie, décrivant l'œuvre comme "une page d'histoire, un monument précieux de la vie parisienne".
Aujourd'hui, il n'y a plus de débat. Le Bal du moulin de la Galette est considéré comme l'un des sommets de l'Impressionnisme. Son succès est planétaire et son influence est immense. Il a ouvert la voie à une nouvelle façon de peindre, plus libre, plus vivante, et a prouvé que la beauté se trouvait aussi (et surtout) dans les moments simples du quotidien. Alors, la prochaine fois que vous passerez un bon moment entre amis, pensez à Renoir. Pas de selfies à l'époque, mais il a fait bien mieux: il a transformé un dimanche ordinaire en éternité.
PS: Il existe une version plus petite du tableau. La rumeur dit que c'était une ébauche, mais beaucoup pensent aujourd'hui qu'il s'agit d'une copie réalisée par Renoir lui-même. Cette "petite sœur" a fait la une en 1990 en étant vendue pour la modique somme de 78,1 millions de dollars !
##002859##