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Catherine Meurisse

Femme piquée par un serpent d'Auguste Clésinger exposée au Musée d'Orsay (1847).
Femme piquée par un serpent d'Auguste Clésinger exposée au Musée d'Orsay (1847).

Femme piquée par un serpent selon Catherine Meurisse.
Moderne Olympia de Catherine Meurisse (Page 30, case 1).

Dans Moderne Olympia (Meurisse • Futuropolis) Catherine Meurisse parodie la statue Femme piquée par un serpent d'Auguste Clésinger sur une planche de sa BD. Ici, la sculpture est chevauchée par Olympia, l'héroïne de cette excellente BD, qui travaille au Musée d'Orsay en faisant de la figuration dans les œuvres !

 

Fils du sculpteur Jean-Baptiste Clésinger, Auguste Clésinger (1814-1883) était un artiste au caractère bien trempé et à la carrière mouvementée. Formé d'abord par son père, il s'est rapidement imposé sur la scène artistique parisienne grâce à son talent pour le modelage. Sculpteur officiel, portraitiste de la haute société, il fut aussi un grand ami de George Sand et de Théophile Gautier, et a laissé derrière lui une œuvre riche, marquée par l'audace et le réalisme.

Nous sommes en 1847, en pleine monarchie de Juillet, à une époque où l'art oscille entre académisme rigide et premiers élans de modernité. C'est dans ce contexte que l'industriel franco-belge Alfred Mosselman passe commande à Auguste Clésinger: il souhaite immortaliser sa maîtresse, la sulfureuse Apollonie Sabatier, alors âgée d'à peine 25 ans. Mosselman ne fait pas dans la demi-mesure: il veut du grand, du beau, et surtout du vrai.

Clésinger, jamais à court d'idées ni de culot, décide de mouler directement le corps d'Apollonie Sabatier. Oui, vous avez bien lu: il utilise un moulage sur nature, une technique qui fait hurler les puristes de l'époque, accusant l'artiste de tricherie et d'absence de talent. Delacroix lui-même qualifiera l'œuvre de "daguerréotype en sculpture" - autrement dit, une simple copie sans âme. Mais ce réalisme cru, jusqu'à la reproduction de la cellulite sur les cuisses (difficile à imaginer aujourd'hui, mais à l'époque, c'est le summum du scandale), donne à la sculpture une présence troublante et inédite.

L'œuvre existe en plusieurs versions: un marbre monumental et des plâtres préparatoires. La version en marbre mesure environ 56,5 centimètres de haut, 1,80 mètre de long et 70 centimètres de profondeur. Le matériau principal est le marbre, travaillé avec une précision chirurgicale pour rendre la chair plus vraie que nature. Sous le bras droit, on peut lire la signature: J. Clésinger. 1847.

La sculpture représente une femme nue, allongée sur un lit de roses, la tête renversée en arrière, la poitrine offerte, le corps parcouru d'un spasme ambigu. Un serpent, à peine plus épais qu'un ver de terre, s'enroule autour de son poignet et semble l'avoir mordue. Mais soyons honnêtes: la douleur paraît bien secondaire face à l'expression extatique du visage et à la tension du corps. Beaucoup y ont vu, non sans raison, la représentation d'un orgasme féminin sous couvert de morsure venimeuse.

Le modèle n'est autre qu'Apollonie Sabatier, demi-mondaine célèbre, muse de Baudelaire et reine des salons parisiens. Surnommée la Présidente par ses amis, elle incarne la femme libre et provocante du Paris romantique. Clésinger, pour atténuer le scandale, remplace cependant son visage par un masque idéalisé, moins expressif, histoire de ne pas trop en rajouter.

La Femme piquée par un serpent est un chef-d'œuvre d'ambiguïté. Officiellement, il s'agit d'une femme succombant à la douleur d'une morsure. Officieusement, tout le monde comprend qu'il s'agit d'une représentation du plaisir féminin, un sujet tabou à l'époque. Le serpent n'est qu'un prétexte, un alibi pour exposer la sensualité crue d'un corps réel. L'œuvre joue sur la frontière entre érotisme et mort, entre vérité et imposture.

Après avoir appartenu à Mosselman, la sculpture passe de main en main: vente anonyme en 1864, Bourouet-Aubertot en 1869, puis R. Sabatier en 1883, avant d'être acquise par la princesse Galitzine. Elle entre dans les collections nationales, d'abord au Louvre, puis au musée d'Orsay, et fait un détour par le musée Calvet à Avignon pour le plâtre préparatoire. Aujourd'hui, la version en marbre est conservée au musée d'Orsay à Paris, même si elle n'est pas toujours exposée en salle.

A sa présentation en 1847, la sculpture fait scandale. La presse s'indigne, les critiques hurlent à la décadence, la Revue des deux Mondes s'étrangle: "Le titre et le serpent sont des concessions faites au jury ! De qui se moque-t-on ! Cette femme ne souffre pas, elle jouit !". Mais le scandale fait vendre, et Clésinger, loin de s'en offusquer, savoure son succès. L'œuvre devient l'un des symboles de la transgression artistique du XIXe siècle, et inspire encore aujourd'hui de nombreux artistes contemporains.

De nos jours, la Femme piquée par un serpent est saluée pour son audace, son réalisme et sa capacité à bousculer les codes. Elle est devenue une icône de l'art romantique, admirée pour ce qu'elle a osé montrer: la vérité d'un corps féminin, entre douleur et plaisir, sans fard ni détour. En somme, cette sculpture n'a pas seulement piqué son modèle, elle a piqué toute une époque au vif. Et, plus d'un siècle et demi plus tard, elle continue de faire parler d'elle... et de faire rougir les visiteurs. Qui a dit que le marbre était froid ?

Dans Moderne Olympia, j'ai décidé que mon personnage serait une héroïne et qu'elle serait à poil, parce que c'est comme ça que Manet l'a peinte, nue sur son lit, avec juste un petit ruban pour l'habiller. L'album pose la question du modèle dans la peinture, des femmes peintres, de la muse qui peut être une nymphe, une déesse, une courtisane ou une pute. Je voulais que tout cela soit dans l'album, derrière la comédie, l'histoire burlesque du premier plan. En réalisant l'album, je me suis sentie dessinatrice, femme.

Catherine Meurisse

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