Egoïste. Où es-tu ? Montre-toi misérable ! Prends garde à mon courroux, je serai implacable. Ô rage ! Ô désespoir ! Ô mon amour trahi ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Montre-toi, égoïste ! Egoïste ! Egoïste ! ...

Egoïste pour homme de Chanel

Girls in the windows d'Ormond Gigli (1960).

Justice League #31 de Mahnke et Johns (Couverture bis de Mike Allred).

Dans le comic book Justice League #31 - "Injustice League, Chapter Two: Power Players" (Mahnke et Johns • DC Comics) le cover artist Mike Allred parodie la photographie Girls in the windows d'Ormond Gigli sur la couverture alternative de la BD. Ici, les mannequins aux fenêtres sont remplacés par les membres de la Justice League: Clark Kent alias Superman, Barry Allen alias Flash, Diana Prince alias Wonder Woman, Arthur Curry alias Aquaman, Bruce Wayne alias Batman, et Ray Palmer alias Atom; et la Rolls-Royce par la Batmobile.

Ormond Gigli (1925-2019) est un photographe américain. L'aventure photographique commence lorsque adolescent, son père lui offre son premier appareil photo. Après les cours il travaille comme assistant auprès de différents photographes. C'est ainsi qu'il rencontre le monde de la mode par l'entremise de Wilhela Cushman, éditrice mode du Ladie's Home Journal. Il est diplômé de la School of Modern Photography en 1942 et sert dans la Marine en tant que photographe durant la Seconde Guerre mondiale.

Sa carrière décolle en 1952. Il travaille pour l'agence de photographie Rapho quand un éditeur de LIFE l'engage pour réaliser une série de portraits en place de Robert Capa, intéressé au même moment par d'autres projets. Cette même année LIFE l'envoie couvrir les défilés de mode parisiens. Le succès est au rendez-vous: l'une de ses photographies est publiée en double page centrale, initiant une carrière de plus de vingt ans en tant que photographe de mode. Ormond GIGLI travaille pour les plus célèbres magazines de l'époque dont Time, Paris-Match, LIFE, Collier's et le Saturday Evening Post. Il installe son studio à Manhattan en 1954. Sophia Loren, Anita Ekberg, John F. Kennedy, Gina Lollobrigida, Diana Vreeland, Giancarlo Giannini, Marlene Dietrich, Judy Garland, Louis Armstrong, Sir Laurence Olivier, Alan Bates ou encore Richard Burton font partie des nombreuses célébrités à passer devant son objectif. Au cours des années 70 et 80 les évolutions du monde de la mode le conduisent à s'engager davantage dans la photographie publicitaire.

Il décède en 2019, laissant derrière lui un formidable patrimoine photographique, témoignage coloré et multi-facette de la seconde moitié du XXème siècle.

Son œuvre la plus connue, la photographie Girls in the windows est très représentative de sa vision. Ormond Gigli aime à construire ses images. Il les imagine et les met en scène. En 1960, à son studio de New York de la 68e rue, il fait face à un vieil immeuble abandonné. Son rêve: "Et s'il y avait une belle femme derrière chaque fenêtre ?". En apprenant que ce bâtiment délabré doit être détruit, il décide de donner vie à son rêve. Il contacte une agence de mannequin pour trouver des modèles volontaires et convainc le contremaître du chantier de lui laisser quelques heures pour faire son cliché durant l'heure du déjeuner. Pour masquer le trou béant sur le trottoir suite à la coupure du gaz et de l'électricité, il fait venir une Rolls-Royce. Et, en porte-à-faux sur l'escalier de secours de son studio, il prend son cliché iconique.

En 1990 Jean-Paul Goude s'en inspire d'ailleurs pour réaliser le spot publicitaire de l'eau de toilette Egoïste pour homme de Chanel.

Spot publicitaire de Jean-Paul Goude pour Egoïste de Chanel

La pub démarre en noir et blanc. Aux fenêtres d'un palace luxueux, des femmes en robes haute-couture crient leur rancœur envers un homme qu'on ne voit pas avec des airs de tragédiennes, elles le supplient de se montrer. Le film passe ensuite en couleurs, on aperçoit le bras nu de l'homme qui pose le flacon de parfum sur la balustrade de son balcon. Elles se mettent alors à scander "Égoïste" en ouvrant et fermant les volets au rythme de la musique La Danse des chevaliers de Sergei Prokofiev extrait du ballet Roméo et Juliette.

Si le film est réussi, c'est probablement parce qu'il s'inspire d'un projet personnel, en l'occurrence un film musical de 52 minutes destiné à une chaîne de télévision. Inspiré par Farida, ma compagne à l'époque, qui avait écrit un poème extraordinaire intitulé "La Femme au nez coupé", le projet chroniquait un fait divers particulièrement dramatique dont elle avait été le témoin lorsqu'elle habitait encore aux Minguettes à Lyon: un macho ivre de jalousie avait coupé le nez de sa femme bien-aimée pour la punir de son infidélité. Penchées aux fenêtres de leur HLM, des ménagères d'origine maghrébines, témoins de la tragédie, insultaient le criminel tout en claquant les volets sur le rythme de la musique ambiante.
Le projet TV Farida étant malheureusement mort aussi vite que je l'avais présenté, je l'ai ressuscité pour Egoïste en substituant nos Maghrébines à une cohorte de top-modèles en colère penchés aux balcons d'un palace de La Riviera pour dénoncer l'égoïsme masculin. Le film fut tourné à dix kilomètres de Rio, en rase campagne, dans un décor de cinéma entièrement reconstitué à l'image du Carlton de Cannes. Pas question à l'époque de trucages sur ordinateur, donc très peu de postproduction. A ce titre, Egoïste reste sans doute le dernier film publicitaire d'une époque et mon bref-métrage préféré.

Jean-Paul Goude

Théâtral et diablement efficace. A l'époque tout le monde s'est souvenu du nom du parfum après la première diffusion à la télé. Si tu as connu les années 90, tu t'en souviens forcément !

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Pierre Corneille | Le Cid (Acte 1, Scène 4)