Boucher ne faisait pas des femmes nues, mais de petites créatures déshabillées.

Jean-François Millet

Jeune fille allongée de François Boucher exposée au Musée Wallraf Richartz (1751).
Jeune fille allongée de François Boucher exposée au Musée Wallraf Richartz (1751).

Jeune Fille allongée selon Félix Meynet.
Détours au musée de Félix Meynet (Page 59).

Dans l'artbook Détours au musée (Meynet • Fabard Edition) Félix Meynet parodie la toile Jeune Fille allongée de François Boucher sur une planche de l'album. Ici, Marie-Louise O'Murphy est remplacée par Mirabelle, l'héroïne de la série BD Double M (Meynet et Roman • Dargaud).

 

Jeune fille allongée, ou Jeune fille couchée, également appelée L'Odalisque blonde, est un sujet peint à plusieurs reprises entre 1751 et 1752 par le peintre français François Boucher (1703-1770). Une peinture datant de 1751 est conservée dans le Musée Wallraf Richartz de Cologne, et une deuxième toile de 1752, appartient à la Alte Pinakothek de Munich. C'est la première qui illustre l'article du jour. Cette huile sur toile de 59,5 centimètres sur 73,5 centimètres est souvent perçue comme l'une des représentations les plus subtilement érotiques parmi les œuvres du rococo français. La toile dépeint une jeune femme nue allongée sur un canapé, dans une pièce somptueusement meublée.

Le fort contenu érotique de l'image est souligné par la posture de la jeune fille. Les jambes sont écartées, mettant en valeur les courbes féminines, et le visage est représenté dans une expression profonde, comme si la fille regardait une scène attirant son attention. Il appartient au spectateur d'imaginer ce qui pourrait motiver une telle attention. Dans la version de 1751 on peut voir, en bas à gauche, un livre ouvert, signe qu'il ne s'agit pas d'une femme commune ou d'une prostituée, mais d'une personnalité avec une bonne culture. Le livre ouvert peut également être envisagé, étant à l'époque des Lumières, comme symbole de la rationalité et de la sensibilité de la femme, qualités la faisant paraître encore plus mystérieuse et attrayante.

Le caractère érotique de l'image est renforcé par la posture de la jeune femme, dont les jambes sont écartées, mettant en avant ses courbes, tandis que son visage exprime une intense concentration, comme si elle observait une scène captivante. C'est au spectateur de deviner ce qui attire ainsi son attention. On remarque un livre ouvert en bas à gauche, ce qui suggère que la jeune femme n'est pas une simple courtisane, mais une personne cultivée. A l'époque des Lumières, le livre symbolise aussi la rationalité et la sensibilité féminine, ajoutant à son mystère et à son charme.

Pour les nus féminins, Boucher ose ce que peu d'artistes de l'époque ont osé, ce qui lui vaut une réputation de libertin et un ostracisme de la part des historiens de l'art. Et la Jeune fille allongée en est la parfaite illustration car ce tableau qui fit scandale et bouleversa le destin d'une jeune fille de 14 ans promise à la prostitution: Marie-Louise O'Murphy.

La famille de Marie-Louise est d'origine irlandais. Exilés en France, ses parents étaient bien connus des services de police. Son père est même embastillé le 23 février 1735 pour une affaire de chantage. Madame de Pompadour, qui n'avait plus de relations intimes avec le roi, mais entendait rester la favorite, organisait avec son entourage les plaisirs du roi. Son frère, le duc de Marigny, eut une part importante dans l'ascension de Marie-Louise O'Murphy. Marigny est en effet le commanditaire du tableau et ce sont probablement les sœurs de Marie-Louise qui ont présenté le modèle à François Boucher. A la vue du tableau, Louis XV est saisi par la beauté de la jeune fille mais pense que le peintre a beaucoup flatté son modèle et demande donc à la voir en chair et en os. La jeune fille rencontre le souverain à la fin de l'année 1752 dans les jardins du château de Choisy, où Louis XV reçoit habituellement ses favorites. Pour le prix de 200 louis remis aux parents et de 100 louis à l'entremetteuse, Marie-Louise vivra désormais dans un quartier nouveau de Versailles, qui était encore sous Louis XIV un enclos permettant d'élever du gibier, d'où son appellation de Parc-aux-cerfs. Ce pied-à-terre royal héberge les petites maîtresses de Louis XV, qui n'ont pas le statut de favorite officielle. Le roi ne se rendant que très rarement au Parc-aux-Cerfs, les petites maîtresses sont amenées au château dans le plus grand secret. La relation dure seulement deux ans et demi, au cours desquels Marie-Louise O'Murphy donne naissance à une fille, Agathe Louise de Saint-Antoine. Lorsque le roi la répudie, il la fait marier moyennant finances à un jeune noble sans fortune, militaire dans les armées royales, Jacques de Beaufranchet et seigneur d'Ayat. La jeune fille devient pour la circonstance Marie-Louise Morphy de Boisfailly, fille de Daniel Morphy de Boisfailly, gentilhomme irlandais. Veuve dès 1757, Marie-Louise se remarie en 1759 avec François Nicolas Le Normant de Flaghac, receveur des finances à Riom qui possède plusieurs domaines estimés à plus de 300 000 livres. En 1795, de nouveau veuve, à l'âge de cinquante-huit ans, Marie-Louise O'Murphy se marie pour la troisième fois. Elle épouse Louis-Philippe Dumont député du Calvados. Elle meurt le 11 décembre 1814, à Paris, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

La fille d'un soldat perdu de l'armée de Jacques II et d'une mère se livrant à la prostitution est ainsi devenue à la fois riche et célèbre parce que sa beauté a été magnifiée par l'un des plus grands peintres du siècle. Le détour de deux années par le bon plaisir du roi a transformé la triste vie qui attendait la petite Marie-Louise O'Murphy en un fabuleux destin. Elle est désormais un personnage historique.

Il est fait pour tourner la tête à deux sortes de personnes, les gens du monde et les artistes. Son élégance, sa mignardise, ses carnations fardées, [...] doivent captiver les petits-maîtres, les petites femmes, les gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, à la sévérité de l'art. [...] Les artistes qui voient jusqu'à quel point cet homme a surmonté les difficultés de la peinture, et pour qui c'est tout que ce mérite qui n'est guère bien connu que d'eux, fléchissent le genou devant lui; c'est leur dieu. Les gens d'un grand goût, d'un goût sévère et antique n'en font nul cas.

Diderot à propos de François Boucher

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