Peeping Tom
04 juil. 2025J'aimerais bien en voir un. Je sais, je suis un peu sans gêne, mais j'aimerais vraiment voir un film. Disons que ce serait un cadeau pour mon anniversaire.
Helen Stephens interprétée par Anna Massey | Le Voyeur
Le Voyeur de Michael Powell (1960).
Tyler Cross - Vintage and Badass de Brüno et Fabien Nury (Page 94 et 95).
Dans le hors-série Vintage and Badass: Le cinéma de Tyler Cross (Brüno et Nury • Dargaud) Brüno Thielleux pastiche l'affiche du film Le Voyeur de Michael Powell sur deux des planches de sa BD. Ici, on reconnaît bien Mark Lewis interprété par Karlheinz Böhm et Dora campée par Brenda Bruce le tout à la sauce Tyler Cross.
Sorti en salles le 27 septembre 1960, Le Voyeur (Peeping Tom en VO) de Michael Powell est ce genre de film qui a d'abord fait fuir tout le monde... avant de devenir culte. Retour sur un chef-d'œuvre aussi fascinant que dérangeant, qui a traumatisé la critique, inspiré les cinéastes, et donné au spectateur un rôle qu'il n'avait pas forcément osé demander: celui de voyeur.
Mark Lewis (Karlheinz Böhm) est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d'image jusqu'à l'obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d'un marchand de journaux (Bartlett Mullins). Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d'appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire, mais il s'emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…
AlloCiné | Le Voyeur
Après une série de succès réalisés en tandem avec Emeric Pressburger, Michael Powell se lance en solo dans une aventure risquée. Le scénario, signé Leo Marks, s'attaque à un sujet brûlant: le voyeurisme, mais aussi la fabrication même des images et la fascination morbide du spectateur pour le crime. Powell, qui produit lui-même le film, y injecte des éléments très personnels: il joue le père du héros dans les flashbacks, et son propre fils incarne Mark enfant. Certaines scènes sont même tournées dans la maison d'enfance du réalisateur.
Le film nous plonge dans la vie de Mark Lewis, caméraman timide et solitaire, qui filme les femmes qu'il assassine pour capturer leur expression de terreur. Il se repasse ensuite ces films, cherchant à revivre, voire à comprendre, ses propres traumatismes. L'intrigue, audacieuse, propose une réflexion vertigineuse sur le regard: celui du tueur, celui du spectateur, et celui du cinéma lui-même. On n'est jamais très loin de la mise en abyme, et le malaise est constant.
Michael Powell, déjà une légende du cinéma britannique, choisit Karlheinz Böhm (crédité Carl Boehm), acteur autrichien au physique angélique, pour incarner Mark Lewis. Un choix loin des stars envisagées (Dirk Bogarde, Laurence Harvey), mais d'une justesse troublante: Böhm insuffle à son personnage une humanité bouleversante, loin du simple monstre de foire. Il s'inspire de sa propre relation difficile avec son père pour nourrir le rôle, rendant Mark à la fois terrifiant et pathétique. Pamela Green, célèbre modèle de charme, marque l'histoire du cinéma britannique en apparaissant nue à l'écran – une première à l'époque. Les autres actrices, comme Anna Massey et Moira Shearer, apportent chacune une profondeur inattendue à leurs personnages. La direction d'acteurs est d'une précision chirurgicale: chaque geste, chaque regard, chaque silence compte. Powell pousse ses comédiens à explorer des zones d'ombre rarement montrées à l'écran.
Powell déploie une mise en scène d'une inventivité folle: caméra subjective, surimpressions, jeux de couleurs saturées, contrastes extrêmes, angles de prise de vue inédits… La photographie d'Otto Heller, en Eastmancolor, oscille entre réalisme cru et stylisation presque onirique, évoquant parfois l'esthétique des films de la Hammer. Le film multiplie les faux-semblants, brouille les frontières entre réalité et fantasme, et invite le spectateur à scruter l'image pour en déceler les secrets.
La musique de Brian Easdale joue un rôle crucial, accentuant l'angoisse par ses notes de piano répétitives, presque hypnotiques. Le son de la caméra, mécanique et oppressant, se mêle à la bande-son pour créer un climat d'inquiétude permanent, où le moindre bruit devient suspect.
A sa sortie, Le Voyeur fait scandale. Jugé malsain, immoral, voire dangereux, il est violemment rejeté par la critique et le public, au point de ruiner la carrière de Powell, qui ne retrouvera jamais sa place dans l'industrie. Le film est interdit aux moins de 16 ans et quasiment banni des écrans. Mais le temps fait son œuvre. Dans les années 1970-80, des cinéastes comme Martin Scorsese et Brian De Palma redécouvrent le film et le défendent ardemment, le qualifiant de chef-d'œuvre et d'œuvre fondatrice du cinéma de genre.
Le Voyeur a eu droit à une deuxième sortie sur le sol américain en 1979, lorsque Martin Scorsese décida de le ressortir pour une projection au New York Film Festival avant de le montrer dans de nombreuses salles avant-gardistes des Etats-Unis. La complicité entre les deux hommes ne s'arrête pas là, puisque Michael Powell épouse la monteuse attitrée de Scorsese, Thelma Schoonmaker, en 1984. Michael Powell et Martin Scorsese ont par ailleurs signé ensemble le commentaire audio qui accompagne l'édition DVD américaine du Voyeur.
Aujourd'hui, Le Voyeur est considéré comme un précurseur du slasher, une réflexion brillante sur le pouvoir du regard, et une leçon de cinéma sur la frontière floue entre spectateur et voyeur. Avec son tueur filmant ses propres actes, Le Voyeur est non seulement une savante mise en abyme, mais aussi l'un des premiers films de l'histoire à évoquer ce que l'on nommera plus tard les snuff movies, films mettant en scène de véritables mises à mort.
Le Voyeur n'est pas un film qui caresse le public dans le sens du poil. Il le bouscule, le met face à ses propres pulsions de spectateur, et interroge la fascination pour l'image et la violence. Longtemps maudit, il est désormais célébré comme un sommet du thriller psychologique, une œuvre qui a influencé des générations de cinéastes et qui, plus de soixante ans après sa sortie, continue de nous fixer droit dans les yeux... pour voir si, nous aussi, nous osons regarder.
##002761##Je me demande si c'est très prudent d'être seule avec vous ? Ça m'amuserait peut-être de savoir que non ?
Milly interprétée par Pamela Green | Le Voyeur